« Et si je me trompe, je sais que vous me corrigerez » (Jean-Paul II)

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Figures

Madame F.

Paul Soriano, 10 février 2018

Modifié le : 9 juillet 2020

Machiavel, Richelieu, ou Mazarin si vous vous voulez, mais sans oublier Pinay ou Sully, pour tenir les comptes : la conquête et la conservation du pouvoir, fort bien, encore faut-il l’exercer, et l’intendance doit suivre.

Pour être distincts, et parfois même antagonistes, ces moments sont intriqués, surtout en démocratie où il faut périodiquement se remettre à l’ouvrage. Or, il n’est pas si fréquent de nos jours qu’un politique soit doué de la double ou triple compétence. On repère en général le surdoué à cela qu’il prend son élan dans le passé pour se projeter dans l’avenir. Regardons ailleurs : face à Merkel, Obama et autres tacticiens, Poutine se comporte de surcroît en stratège pour la simple raison qu’il s’obstine à croire que la Russie, « puissance moyenne », est pourtant éternelle. Cette croyance déraisonnable fait toute la différence. Au demeurant, si ledit Poutine séduit et horripile des Français, c’est peut-être parce qu’il tient le rôle auquel nous aurions renoncé et qu’il nous vole ainsi la vedette.

La France, pour sa part, est une vieille dame millénaire qui doute encore de son identité. Peut-être parce qu’elle n’a d’autre essence que son existence [1], comme dirait Jean-Paul S. Et à l’image du Français, elle a besoin des autres pour être pleinement ; l’un et l’autre tenus de se distinguer – la coïncidence ne doit pas être fortuite. Lui est un égotiste sociable ; elle, érige un idéal de singularité en modèle : la France ou l’exception universelle ! Contrainte au non-alignement, ou bien condamnée au statut de belle province d’un empire quelconque –une situation qui, du reste, pourrait bien rendre enfin heureux les Français…

D’où les « contradictions » (la « schizophrénie française » selon un observateur américain), les acrobaties, les « trahisons » et autres coups tordus. Liberté chérie et législation tatillonne ; égalitarisme élitiste ; frères ennemis ; et cinq Républiques en moins de deux siècles : le Roman national abuse des coups de théâtre. Richelieu combat le parti protestant à l’intérieur et prend, à l’extérieur, le parti des protestants… contre le parti (catholique) de l’étranger. François Ier fait alliance avec le Turc, ennemi commun de la chrétienté. Henri IV, « Paris vaut bien une messe ». De Gaulle, « Je vous ai compris ». Et Monsieur H. acculé à combattre son propre camp et se choisir pour successeur, dans l’intérêt général à ses yeux, un félon – encore fallait-il repérer le bon dans le cortège.

Ambiguïté : cette constante de la politique en général résonne en France de manière particulière mais c’est encore un Italien – mieux : un Florentin d’origine – le cardinal de Retz né Jean-François Paul de Gondi qui l’a formulée : on n’en sort qu’à ses dépens.

Le « parler vrai » est suicidaire. Michel R. et Raymond B. en firent la cruelle expérience. À moins, bien entendu, que « parler vrai » s’entende comme « je vous ai compris », à la manière un peu empruntée d’un Petit Prince, de l’équivoque [2]. Opacité totale. Transparence ? En bon français, « transparent » appliqué à un homme politique signifie « nul ».

D’où aussi la prétendue « dérive monarchique » qui n’est pas une dérive mais un principe fondateur. En fait, c’est plutôt la succession héréditaire qui décharge le souverain de la conquête du pouvoir et met – en principe – l’essentiel à l’abri des divisions et des jeux politiques. À défaut, on se trouve exposé, ne nous déplaise, à l’homme providentiel.
Il est vrai que l’élection du monarque au suffrage universel est une solution… problématique. Ou bien on la flétrit du nom de plébiscite (ce qu’elle est, logiquement) ou bien elle dégénère en primaires, cette « avancée démocratique » si peu républicaine.

D’où encore ce dilemme : pour régner, mieux vaut ne pas trop gouverner. Souverain à l’ONU en représentant de la France, un Dominique de Villepin se fracasse en Premier ministre sur le contrat première embauche. De même, Monsieur H. s’y est abîmé. Et c’est quand sa renonciation semble le mettre hors-jeu qu’il recouvre un peu de la stature qui, sauf votre respect, a pu lui faire défaut.

Le voilà néanmoins bien parti pour rejoindre la galerie des vaincus magnifiques où s’alignent la plupart des héros français, se désole Madame H. [3], un peu sentencieuse comme à son habitude. De Vercingétorix à de Gaulle, en passant par Roland, Jeanne (d’Arc), Henri IV, Napoléon… Et parmi les moins titrés, la figure la plus noble et la plus émouvante, celle du résistant assassiné.

Vaincu par Rome, l’Allemagne ou l’Angleterre, ou bien vaincu par les siens, ou le « parti de l’étranger ». Surtout par les siens. Une bonne part du peuple de France, la plus constante et peut-être la plus sensée, lorgne vers la Suisse et finit par tout faire capoter. La Suisse ou le « modèle scandinave », tant rabâché. Encore les Scandinaves ont-ils la Russie aux portes pour les tenir éveillés, ce que ni l’Allemagne ni l’Angleterre ne font plus pour nous. La guerre tue et la paix aussi, autrement.

À moins qu’une fois encore un jeune et séduisant rebelle, Bonaparte ou Jeanne d’Arc, nous ménage un coup de théâtre ?

Notes

[1En termes moins philosophiques : l’État y précède la nation.

[2Pour mémoire : François Mitterrand, « prince de l’équivoque » selon Raymond Barre ; nul doute que ce coup de griffe fut reçu comme un hommage par notre Florentin.

[3Pour mémoire : Régis D., Madame H., Gallimard, 2015.


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