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60. Catéchisme

Avec Brad Pitt dans le rôle de Martin Luther King ?

Le médium c’est le casting

Paul Soriano, 22 avril 2021

Modifié le : 2 août 2021

En matière de lutte contre les discriminations, on croyait avoir trouvé l’arme absolue : pulvériser tous les stéréotypes, en libérant le casting des fictions grand public de toute référence à une réalité honnie. En quelques années, le monde entier, abonné à Netflix et Cie, serait converti à l’interchangeabilité générale des personnes.

Patatras, encore raté ! Car certains « bénéficiaires » présumés de ces mascarades (à savoir les discriminés) ont compris tout autrement le message : vous n’existez pas  ! D’où une colère légitime et sans doute salutaire.

Visuellement correct

Une erreur de casting n’a rien à voir, en général, avec une dissemblance physique. Ainsi, la troisième saison de l’excellente série britannique The Crown est gâchée par l’actrice, pourtant assez « ressemblante », qui incarne Thatcher, mais dont le registre expressif très réduit bousille littéralement le personnage de Maggie.

Mais il y a tout de même des limites… Napoléon incarné par Omar Sy passe encore. Mais les spectateurs les plus coincés (ils sont encore nombreux) risquent de « tiquer » en découvrant Bovary (Madame) sous les traits de Richard Berry, d’autant que cet acteur fait l’objet de graves accusations. Et que dire d’un Jésus de Nazareth interprété par Marion Cotillard ?

Dans les productions les plus avancées (comme l’impayable Chronique des Bridgerton, une espèce d’utopie rétroactive fantasmée digne des Monty Pithon), le message est tellement lourdingue qu’il efface tout le reste, on ne voit, on entend plus que lui. L’intrigue, l’époque, les décors, les personnages, les dialogues, et même le jeu des acteurs n’ont plus aucune importance, seul s’impose le « catéchisme visuel » qui a remplacé ce que l’on appelait autrefois, en politique, la « propagande ». Le spectacle se voulait édifiant, il tourne au comique (involontaire), parfois au grotesque, et enfin à l’odieux. Les producteurs ont fini par s’en apercevoir, et ils se défendent désormais en parlant d’humour ou d’anachronisme délibéré, forcément « créatif »… Ils seraient mieux avisés d’inscrire leurs productions dans la plus prestigieuse catégorie de la littérature surréaliste : « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection de la reine Victoria et de Gérard Depardieu ».

Ces hardiesses semblent encore bien souvent fonctionner à sens unique : ainsi, une Jeanne d’Arc jouée par une jeune (ou une moins jeune) femme africaine : bravo ! Noomi Rapace en improbable hackeuse (bidouilleuse informatique) : génial ! Mais Brad Pitt en Martin Luther King ou Leonardo di Caprio dans le rôle de Marie Curie ? On frôle le sacrilège… Pourquoi diable ces différences d’appréciations entre un casting progressiste et un autre insupportable ?

« Vous êtes interchangeables : vous n’existez pas »

Il y a pire. À savoir que certains de celles et ceux qui auraient dû être les principaux bénéficiaires de ces initiatives (les femmes, les non-Blancs et autres discriminés), et dont les producteurs attendaient sans doute des témoignages de gratitude (et puis quoi encore ?), n’apprécient pas du tout. Et on les comprend.

Si un Noir peut jouer le rôle d’un Blanc (ou vice versa), une femme interpréter un homme (ou vice-versa) ou encore, de manière intersectionnelle, un homme blanc jouer le rôle d’une femme noire, cela peut tout au plus enchanter la mouvance bi, trans ou métisse – encore que celle-ci préfèrerait sans doute que des acteurs bi, trans ou métis interprètent de grands rôles de bi, trans ou métis, le chevalier d’Éon, Dumas ou Pouchkine, par exemple.

Mais ce genre de bouffonnerie peut aussi gravement indisposer les intéressé(e)s : car que signifie au bout du compte l’interchangeabilité générale, sinon que vous n’existez pas !

Et comme par hasard, cette équivalence se trouve être aussi une loi du marché, où tout se vaut, réduit à l’équivalent général appelé « argent », lequel, comme chacun sait, n’a pas d’odeur ni de genre, ni de couleur – sinon le vert du dollar américain : la showrunneuse (sic) Lauren S. Hissrich a mangé le morceau : « dans les jeux vidéo, Geralt et les Witcher ont un accent américain. Ce n’est pas le cas dans les livres [!] mais les développeurs ont pensé que ça plairait à un plus large public. » Bingo !

On ne sous-estimera pas pour autant le risque inverse : celui d’un monde où Brad Pitt ne serait plus autorisé qu’à jouer le rôle de… Brad Pitt. Ce qui n’est pas non plus très raisonnable…

Les showrunneurs, ça ose tout

Quand les problèmes de société les plus difficiles et les plus explosifs sont pris en charge par des showrunneurs dont la compréhension des sujets est forcément limitée, le théorème d’Audiard s’applique implacablement : « les c… ça ose tout, et c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Expier les péchés de nos ancêtres, rendre le monde meilleur, chacun y va de sa petite solution inspirée par sa profession, aussi futile soit-elle…

Les politiques sont à vrai dire les seuls « professionnels » compétents pour traiter, à défaut de les résoudre, les « problèmes de société », et sans chercher, surtout pas, à rendre le monde meilleur. Leur carence laisse la voie ouverte aux initiatives les plus ubuesques, en général contre-productives, surtout venant de ceux qui incarnent aujourd’hui les pires aspects de la domination de l’Occident sur le reste du monde.

La pulvarisation d’un tabou

Une fois de plus, désolé amis médiologues, il va nous falloir nuancer la réprobation courroucée que suscitent (ici-même) le Woke et la Cancel culture : ne sommes-nous pas nous-mêmes victimes de l’occidentalisation du monde – cette carnavalisation selon le mot de Jean Baudrillard – que certains combattent d’une manière (qui nous paraît) extravagante ou choquante ?

Audrey Pulvar nous montre le chemin. Courageusement. On lui a beaucoup reproché sa complaisance bafouillée envers la « non-mixité »… La pulvarisation de ce tabou ouvre pourtant d’intéressantes perspectives : grâce à vous, Madame, nous allons (peut-être) pouvoir de nouveau, comme dans la vieille Angleterre, fonder des clubs réservés aux hommes (aux mâles). Ou bien exclusivement féminins, bien entendu… Et laisser les gentils organisateurs se dém… avec les demandes d’adhésion de candidat·e·s bi ou trans.

Quel soulagement ! Mais précisons pour les plus méfiants et autres paranos que les clubs mixtes, et plus si affinités, resteront autorisés.


Références

Plus sérieusement, on trouvera une brève analyse médiologique de l’affaire sur le site de la médiologie.


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