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10. Politique

Droite-gauche : à quel saint se vouer ?

Paul Soriano, 31 octobre 2019

Modifié le : 17 octobre 2021

En politique l’usage des termes « gauche » et « droite » est relativement récent (XVIIIe siècle) mais l’opposition qu’ils désignent est beaucoup plus ancienne, on la repère déjà dans… le Nouveau Testament. Et même dans l’Ancien, mais c’est une autre histoire.

À ma gauche, saint Paul : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ » (Galates, 3, 28). Tout y est : égalité, universalisme et individualisme, critique des allégeances ethniques et sociales, et même du « genre ». Alain Badiou n’a pas tort d’y lire l’origine de toute attitude critique et révolutionnaire.

À ma droite, Pierre : « et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». L’Église, ce sera Rome, impériale et catholique, l’Institution qui institue toutes les autres, y compris les institutions politiques. Et cela durant tout le Moyen Age ; jusqu’à ce qu’au XVIe siècle, un certain Luther destitue Rome et du même coup, à terme, toutes les institutions instituées par l’Église. La Réforme, mère de toutes les révolutions ? C’est la faute à Luther en somme, même s’il abomine les révoltes politiques que sa prédication inspire logiquement. On connaît la suite : les Lumières, la Révolution de France, qui introduit l’usage de ces termes en politique, Marx et sa « relecture » intégrale des conflits politiques en termes de rapports de classes… À partir du XIXe siècle, les deux camps sont bien positionnés, ce qui n’empêchera pas chacun d’eux de se déchirer, surtout côté gauche.

À droite, désormais, le parti conservateur : conserver une structure sociale, du reste variable, mais toujours hiérarchique, chacun sa place, chacun sa classe, avec ses misères ou ses privilèges, comme à Downton Abbey ; à gauche, la critique et la lutte contre ces mêmes structures, soit au nom d’une société plus juste (gauche modérée) soit en vue de l’égalité pure et dure (gauche radicale).

Ébranlée par la critique, la droite, parti de l’ordre, tente inlassablement de justifier son ordre social, légitimé tour à tour par Dieu, la nature, l’histoire (la naissance), la raison, le mérite, l’utilité, la justice… Toujours légitimiste, la droite, mais les sources de la légitimité changent – les hiérarchies sociales ne seraient donc pas si naturelles ? La gauche modérée se montre sensible à certains arguments (la raison, la justice, le mérite…) ; la gauche radicale rejette tout en bloc, y compris le « mérite », désormais, au nom de l’égalité qui, elle, n’a pas besoin d’être justifiée.

Droite et gauche ne s’inscrivent pas dans le même temps. Le temps de la gauche, c’est l’avant-après, le « progrès » du parti progressiste, voire le temps messianique (la Révolution ça viendra, ça viendra…). Le temps de la droite, c’est la durée  : « Pourvou ké ça doure », dit Letizia Bonaparte à son rejeton, quand il se prend pour le Messie.

Car la gauche a beau réprouver le culte de la personnalité, elle s’attache volontiers à un lider maximo paré de toutes les vertus révolutionnaires : de Bonaparte à Fidel Castro, la liste est longue (et presque tous des bourgeois…). En ce sens plus absolutiste que la droite que la panique conduit parfois à s’en remettre à un César, en espérant secrètement qu’un Brutus lui règle son compte sans trop tarder. En temps normal la droite préfère la sagesse des corps intermédiaires et les Sénats… conservateurs.

Et le centre ? Le « changement dans la continuité » (Giscard avant Macron s’invente « et de gauche et de droite ») perturbe notre bel ordonnancement bipolaire. Mais pour le libéralisme, le temps c’est… de l’argent ! Né à droite et en Angleterre, d’une réaction aristocratique contre le pouvoir monarchique (la Grande Charte de 1215), il va changer de classe et s’embourgeoiser en liberté d’entreprendre. Et dès lors devenir révolutionnaire, comme l’explique magnifiquement Marx, dans le Manifeste, cet éloge époustouflant de la bourgeoisie suivi d’une critique ravageuse de tout ce qui porte le nom de « socialisme » à l’époque, tandis que le communisme est étrangement qualifié de « spectre » (qui hante l’Europe). Est-ce à dire, Karl, que la gauche pense le monde, mais que c’est la libre entreprise, la concurrence, la technique, le marché… qui le changent ? Ou bien que la gauche ne renverse le capitalisme que pour le remettre sur ses pieds ?

Si bien que gauche et libéralisme vont se retrouver « alliés objectifs ». Vues de gauche, les institutions sont oppressives, injustes et, aux yeux des « intellectuels », arbitraires. Et, vues de l’autre côté, des obstacles à la libre circulation des biens et des personnes. Aux « gens de qualité », le libéral préfèrera toujours le « bien sans qualité » (l’argent selon Simmel), les aristocrates à la lanterne et les ploutocrates à la barre.

Voilà pour les principes. Mais il faudrait s’intéresser aussi à ce qui semble échapper à ce schéma (trop ?) simple. D’autant qu’à notre époque, il semble caduc. Avec le populisme, par exemple, gauche ET droite sont comme la poule qui a trouvé un couteau, l’une le voudrait sans lame et l’autre sans manche.

Une droite qui n’a plus rien à conserver, quand la nature elle-même semble à bout de ressources ; une gauche abasourdie par des « réactions populistes » en gilet jaune et masque de clown, et qui semblent vouloir rejouer le film à l’envers : faut-il les suivre, les précéder ou bien les retourner dans le bon sens (de l’histoire) ?

En attendant, jamais les conflits politiques n’ont été aussi virulents.


Références

Publié dans Marianne, Les Médiologues, le 31/10/19.


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