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Médiologie : de droite ou de gauche ?

Paul Soriano

16 avril 2018, modifié le 10 juillet 2020

Dans l’émission « Zemmour et Naulleau » diffusée le 30 novembre 2016 sur Paris Première, une intéressante passe d’armes a opposé Régis Debray à Eric Zemmour.

Le second reprochait au premier de s’obstiner à se dire et se vouloir « de gauche », alors même que ses écrits, notamment son dernier ouvrage, Allons aux faits (Croyances historiques, réalités religieuses), témoigneraient d’une lucidité politique typiquement droitière. À quoi Debray réplique que c’est précisément parce que la nature même du politique est « de droite » que lui s’obstine à se situer à gauche, et « de plus en plus ».
Gardons-nous de voir ici un de ces paradoxes qu’affectionnent les intellectuels, de gauche ou d’ailleurs, surtout quand ils sont français. Non, si Debray de droite et Régis de gauche échappe(nt) à la schizophrénie que diagnostique Zemmour, et cohabitent sereinement, c’est parce que l’un et l’autre sont médiologues.
La question médiologique par excellence, face à une réalité sociale et culturelle quelconque, c’est : « comment ça fonctionne ? ». Et en politique, « comment ça marche ? » doit s’entendre au sens propre (comment on fait défiler les foules) et au sens figuré (comment on nous fait marcher, comment on nous persuade). Du coup, c’est vrai, la médiologie incline le penseur politique du côté de Machiavel.
En d’autres termes, l’entreprise médiologique est une entreprise de lucidité. Or la lucidité est « plutôt de droite » parfois jusqu’au cynisme, tandis que la gauche est portée à l’utopie. Froide clairvoyance d’un côté, aveuglantes Lumières de l’autre. La médiologie aggrave son cas en mettant l’accent sur la transmission, ce qui la situe automatiquement dans le perspective du conservatisme, quand bien même elle s’intéresse à la transmission des valeurs et idées progressistes : « tradition des Lumières » flirte avec l’oxymore, mais il faut bien passer le flambeau…
Il reste que dans la réalité de la pratique politique (la politique versus le politique), il n’est pas interdit à un politicien de gauche d’être lucide, dès lors qu’il s’agit de prendre, exercer et conserver le pouvoir. Lénine, Staline, Mao et Fidel Castro étaient peut-être férocement utopistes, et François Mitterrand sincèrement « socialiste », mais chacun en même temps machiavélien, voire carrément machiavélique.
Pour écrire et mettre en scène une bonne tragédie politique, il faudrait être à la fois Corneille qui peint les hommes comme ils devraient être et Racine qui les peint tels qu’ils sont.
Car de l’autre côté, un politicien de droite qui renoncerait à utiliser le moteur de l’utopie, ou du mythe, ou des croyances qui font marcher, ne serait pas non plus très réaliste. Du reste, le « c’était mieux avant » du fieffé réactionnaire est au moins aussi mythique que le « ce sera mieux demain » de son adversaire progressiste ou révolutionnaire. Lequel soutient que c’était encore mieux avant-hier, avant l’ « ancien régime », au temps de la république romaine ou de la démocratie athénienne.
Si bien que rester à gauche, et de plus en plus, quand tout vous suggère de faire demi-tour, ce n’est pas de l’entêtement. Simplement peut-être de la fidélité, et plus surement encore du réalisme.


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