La médiologie étudie les interactions entre culture, technique et institutions. Plus précisément, elle confronte 1) une forme sociale et culturelle (religion, idéologie, discipline du savoir, genre artistique, etc.) avec 2) un système technique de communication (saisie, archivage et circulation des informations et des traces) et 3) une organisation collective (église, parti, école, académie, etc.). Selon une approche qui rapport un phénomène historique aux médiations qui l’ont rendu possible.
Car il ne s’agit plus de déchiffrer le monde des signes mais de comprendre le devenir-monde des signes, le devenir-Église d’une parole de prophète, le devenir-École d’un séminaire, le devenir-Parti d’un Manifeste, le devenir-Réforme d’un placard imprimé [les « 95 thèses » de Luther], le devenir-Révolution des Lumières, aussi bien que telle ou telle anecdote contemporaine, le devenir-panique nationale d’une émission radio d’Orson Welles aux U.S.A. (…) Disons : le devenir-forces matérielles des formes symboliques. (Debray, Manifestes médiologiques, p. 17).
On insistera sur le terme « interactions », car la culture à son tour suscite, assimile, modifie ou rejette une innovation technique : comment une institution réagit-elle à une innovati0on technologique. Exemples : comment les médias réagissent à l’irruption du numérique ; comment des usagers détournent de nouveaux moyens de communication ; (CMG72) comment les instruments instrumentalisent à leur tour leurs maîtres supposés.
Autres questions d’actualité : que « fait » le numérique à l’école, à la religion, à l’entreprise, à la politique, à la nation et au peuple souverain ? Et que font du numérique, ces mêmes institutions ?
On peut dire aussi que la médiologie s’intéresse aux conditions de l’ « efficacité symbolique » (Lévi-Strauss). Chaque fois qu’il est question de faire-savoir (informer), faire-croire (convaincre, influencer), faire-agir (motiver, mobiliser), faire-marcher (au sens propre comme au sens figuré), le médiologue porte son regard sur le « faire » et les moyens qu’il emploie (pour ce faire !). Qu’il s’agisse de religion ou de politique, entre autres, il s’interroge sur le « comment ça marche » (plutôt que sur leur « essence ») : pourquoi ça marche, ou ne marche pas, ou pourquoi ça marche autrement que prévu…
Portant son attention sur les stocks et les flux d’information, la médiologie s’appuie sur une espèce de « logistique » des moyens de transport du sens (savoirs, idées, valeurs) dans l’espace (entre contemporains), et dans le temps : l’exploration du monde symbolique sous l’angle de la logistique.
Alors, tout bien pesé, le message c’est le médium (McLuhan) ? En tout cas le médium détermine bien souvent le statut du message. Le « vu à la télé », qui prétend renforcer dans la presse l’autorité d’une publicité, en dit long sur les rapports de force entre ces deux médias – au moins dans un contexte commercial. Et même si les « revues de presse » de l’audiovisuel s’entendent comme la réponse du berger à la bergère (ou l’hommage du vice à la vertu). PS.
Références :
Les premières mentions de cette discipline apparaissent dans deux ouvrages successifs de Régis Debray. Le terme médiologie apparaît en 1979 dans Le pouvoir intellectuel en France. Le texte fondateur est le Cours de médiologie générale paru en 1991. Debray souligne que la médiologie s’appuie sur de nombreux précurseurs : Victor Hugo (« ceci [le livre] tuera cela [la cathédrale, le monument] », dans Notre-Dame de Paris), Walter Benjamin, Paul Valéry, Marshall McLuhan, Walter J. Ong, André Leroi-Gourhan, Gilbert Simondon… La pensée médiologique croise d’autre part en maints endroits celle de : François Dagognet, Bernard Stiegler, Pierre Lévy, Jean Baudrillard, Jacques Derrida, Roland Barthes… Outre les ouvrages de Régis Debray, les principaux textes médiologiques sont produits dans deux revues successives : les Cahiers de médiologie (entre 1996 et 2004) et MediuM (2005 à nos jours).