Quand le sage montre la lune, le médiologue regarde le doigt.
Émouvoir et mouvoir, convaincre et vaincre, démarcher et faire marcher.
Les idées mènent peut-être le monde, mais elles ne voyagent pas toutes seules, elles doivent être elles-mêmes menées et amenées à leurs destinataires – par quels chemins, quels supports et quels véhicules ? Et quelles perturbations… ? C’est toute la question médiologique.
La médiologie commence quand on s’étonne qu’une pierre puisse devenir « sacrée ». Ou dit autrement : qu’il faille en passer par une pierre (ou n’importe quoi) pour « manifester » le sacré.
Échappe à la médiologie, la communication directe avec Dieu, « plus intime à moi-même que moi-même » (saint Augustin et les protestants) ; ou avec les morts – encore qu’il ne soit pas très difficile de repérer quelque médiation dans ces prétendues communications directes : guéridon, « ouija board » et médium corporel (le « médium » des spirites).
Et pourtant, pas besoin de tels artifices pour faire parler et agir les morts : les dispositifs ordinaires de la transmission, à commencer par le livre, y pourvoient le plus banalement du monde. Comme le dit un médiologue un peu tourmenté : « chaque fois que je fais parler un mort (en le citant), je ne peux m’empêcher de penser qu’un mort est en train de me faire parler… ».
Théorème médiologique : tout médium tend à devenir milieu en absorbant ce et ceux qu’il met en relation. Exemple : les « médias », le « numérique » ou même « Facebook ». Et auparavant : le parti communiste dans les régimes du même nom. Et plus encore : l’argent.
L’homme, à la différence de l’animal, peut et, à la différence des dieux doit utiliser des moyens pour atteindre ses fins. Mais les moyens influent aussi sur les fins et parfois finissent par les absorber ou les retourner. On crée un parti pour prendre le pouvoir et changer la société, et on finit par ne plus faire autre chose que ce qui permet de garder le pouvoir au sein du parti.
Maître-esclave : il est plus « noble » d’être prédicateur qu’imprimeur, politique que journaliste, mais au fil du temps, les esclaves finissent par asservir leurs maîtres. Ou les remplacer. Le médium devient le messager.
Le sceau du secret. C’est le « sceau » (une technique en général opérée par une institution seule habilité à l’imprimer) qui donne à une information, ou plutôt à une non-information puisque qu’elle est gardée secrète, le statut d’un secret.
Le médiologue regarde le doigt qui montre la face visible de la lune ; mais quid de la face cachée ? Confronté au secret, il va s’intéresser à ce qui dissimule plutôt qu’à ce qui est dissimulé. Et ainsi, peut-être, révéler quelques lois générales du secret.
Le rythme est un puissant moteur, un médium total : il communique un mouvement à un sujet qu’il transforme en vivant métronome ; il captive le corps et l’âme, et même l’esprit quand il met la parole en musique.
La miniaturisation des objets médiologiques (de la cathédrale au livre…) requiert un déploiement considérable de dispositifs techniques et industriels. Et la prétendue dématérialisation à l’ère numérique, recourt à de gigantesques « fermes » de serveurs informatiques.