Discours scientifique
A la différence du discours philosophique, le discours scientifique porte sur un objet (du latin objicere, placer devant ou contre) construit artificiellement en opérant une *réduction, en privant la réalité observée (observée et non participée) d’une ou plusieurs de ses dimensions. Le discours scientifique ne peut donc en aucun cas se présenter comme « vrai » puisqu’il ne porte jamais sur le réel mais sur sa *représentation.
Par exemple, la physique classique se représente un univers privé (entre autres) de sa dimension temporelle, que la physique moderne se verra du reste contrainte de réintroduire face aux incohérences auxquelles se heurtent les physiciens. Il est intéressant de noter au passage que la physique devient « relativiste » quand elle s’aperçoit que l’observateur (que l’on peut appeler « Newton ») ne se tient pas à distance de l’univers, mais qu’il est « à l’intérieur » de l’univers (le monde est un domaine absolu que l’on ne peut tenir à distance). On notera en passant ce curieux chassé-croisé : on appelle « relativité » la démarche par laquelle la physique s’efforce de trouver des équations absolument valides, indépendamment du référentiel où se situe l’observateur.
Une analogie très simple éclaire la différence radicale entre objet (de science) et domaine absolu (de la philosophie). Dans notre champ de vision, il y a des « objets », à distance, distincts et séparés de notre corps dans l’espace. Certains philosophes affirment que ces objets sont des représentations, des « images ». Sans examiner davantage ce jugement, observons que l’on peut en tout cas « représenter » une boule de billard ou un cube (l’une et l’autre à trois dimensions) sur une feuille de papier (à deux dimensions) à l’aide d’artifices de représentations qui suggèrent au regard qu’il s’agit bien d’une sphère ou d’un cube.
Mais le champ de vision, lui, n’est nullement un objet, c’est une « *surface absolue » (Raymond Ruyer). Cet surface n’est pas une image, elle n’est pas « vue ». Elle n’est pas à distance de « moi », elle n’est même pas à « zéro distance », elle est sans distance. Alors même que le champ de vision est fini (je ne vois pas ce qui est derrière moi), il n’a pas de « bords », à la différence d’une image. Il en est du reste exactement de même pour ce que l’on appelle le « champ de conscience », sans distance et sans « bords » : on n’est pas conscient de naître ou de mourir, on n’est même pas conscient de s’endormir ou de s’éveiller. Raymond Ruyer montre qu’un être vivant, une bactérie aussi bien qu’un embryon, est également un domaine absolu. Quand on dit qu’un embryon « se développe », ce qui se développe est identique à ce qui est développé, sans distance, de manière parfaitement « immanente ».
Discours hybrides et autres « parlottes »
Entre la philosophie et la science règnent toutes sortes de discours, hybrides ou dégénérés, qui ont en commun de combiner de manière contradictoire une démarche philosophique (quand ils traitent d’un domaine absolu, tels le monde, le vivant, l’homme…) et une démarche scientifique (en tenant à distance ce domaine comme s’il s’agissait d’un objet). C’est le cas en particulier des discours métaphysiques, et idéologiques.
Le métaphysicien est un pseudo-philosophe qui, partant d’une attitude philosophique (domaine absolu, souci de vérité) se laisse contaminer par le discours scientifique (objectivation, exactitude), s’affranchit de sa propre épreuve de vérité et se condamne à tenir des discours qui ne sont ni vrais ni faux mais insensés : des discours qui se réfutent eux-mêmes (*auto-réfutation).
Les prétendues *sciences humaines, précisément parce qu’elles se disent à la fois « sciences » et « humaines », sont particulièrement vulnérables à cette contamination.
Références :
- La théorie des discours d’Alexandre Kojève
(in Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne, Gallimard, « Tel », 3 volumes). - Théorie des discours de Jacques Lacan. Voir, par exemple, Serge Lesourd, Comment taire le sujet. Des discours aux parlottes libérales, érès, coll. « Humus, subjectivité et lien social », 2006.
Sur les « parlottes », on consultera utilement Serge Lesourd, Comment taire le sujet. Des discours aux parlottes libérales, érès, coll. « Humus, subjectivité et lien social », 2006 avec une bonne révision et mise à jour de la théorie lacanienne des discours.