Mais la récompense se mérite : cette pensée peine à se donner forme, au point de décourager parfois le lecteur, même un peu frotté de culture philosophique. En même temps cette défaillance illustre en somme le propos de l’auteur : la puissance sous ses avatars (les signes, l’argent, la technique, le désir…) s’affranchit de l’acte (elle n’est plus « en puissance ») et donc de toute espèce de forme visée par cet acte : celle du sujet (identité) et de ses institutions, la forme des œuvres et jusqu’aux formes dites naturelles… Le dernier chapitre nous invite néanmoins à penser la puissance : l’ouvrage lui-même ne témoigne-t-il pas de cette possibilité ? Trois avantages dérivés de cette lecture : 1) la puissance sans fin est une formidable clé de lecture des événements de ce monde. 2) en lisant Le Lannou, on parcourt implicitement toute l’histoire de la philosophie, d’Aristote à Michel Henry (la vie), sans omettre Heidegger (l’être), Merleau-Ponty (le corps), Deleuze (rhizomes), Baudrillard (le déchaînement), etc. 3) après cette cure de nihilisme roboratif, tout autre discours paraît néanmoins complaisant… L’auteur nous promet une suite, on l’attend avec la dernière impatience.
PS. Ne pourrait-on suggérer que c’est l’épuisement du « dernier homme » qui le rend incapable de contenir la puissance dans les formes qu’il produit ? Cette interprétation ne dispense évidemment pas de s’interroger sur l’origine et le destin de la puissance.
Dans les progrès de la technique et ceux du pouvoir opératoire de la science, l’époque actuelle se caractérise par un bouleversement radical : le développement sans limite de la puissance. Aujourd’hui tout semble devenir possible. L’homme sait à présent qu’il peut modifier son corps, et bientôt même se refaire. Dans un avenir proche, il ne se « devra » plus à la nature. Que sera alors cet homme qui pourra « plastiquement » se façonner et « choisir » sa descendance, ainsi que les conditions de cette « production » ? Pour élucider l’illimitation de la puissance, une nouvelle compréhension est nécessaire : elle doit en décrire la phénoménalité propre et expliciter les modalités de son intensification. Comment, en particulier, comprendre l’apparition de son infinité ? Quel avenir la puissance nous ouvre-t-elle ? Si l’humanité recèle en elle ce qui peut l’excéder, c’est-à-dire en changer l’identité actuelle, que devons-nous faire ? Faut-il dénoncer ce développement, et s’opposer à l’infini de la puissance ? Faut-il au contraire y consentir, en trouvant en lui la vérité de la Nature ? Serait-ce là l’annonce du passage à un autre « être », la suite de l’évolution ? Voilà bien ce qui est actuellement en question : la puissance libère-t-elle l’humanité, ou bien se libère-t-elle de l’humain ? (4e de couverture).