S’il est sans doute excessif de soutenir que « le message c’est le médium » (une info à la télé, c’est d’abord de la télé et accessoirement de l’information), le même slogan transposé à l’argent semble déjà moins abusif : dire que « la valeur, c’est le prix » c’est simplement affirmer que la valeur n’est rien d’autre que ce que nous révèle son « support », la monnaie, dont la mesure est la première et essentielle fonction.
Mais une médiologie de l’argent (ou de la monnaie) qui se contenterait de substituer, dans ses analyses, la « valeur » au « sens » manquerait l’essentiel car l’argent tend à embrasser le sens en même temps que la valeur. Si des dépenses peuvent être qualifiées d’« insensées » ce n’est pas tant du fait de ce qu’on achète (des choses qui ne servent à rien, par exemple) que du fait de la démesure entre le montant de mes dépenses et celui de mes revenus.
De même, le bilan d’une entreprise inscrit dans un « tableau Excel » révèle ce qu’elle est, aux yeux d’un financier. Plus synthétique encore : l’évolution de sa cote à la Bourse (une seule ligne du tableau Excel) nous livre son histoire et son destin.
La finance tire toutes les conséquences de cette double assimilation de la valeur au sens, puis à la chose même. C’est ainsi qu’il suffit de s’approprier la majorité du capital d’une entreprise (un élément du passif du bilan) pour acquérir du même coup la pleine propriété de l’entreprise elle-même, corps et biens. L’actionnaire, ce tigre de papier, peut en effet prétendre non seulement au fructus (les dividendes), mais aussi à l’usus (la gestion de l’entreprise) et même à l’abusus (la capacité d’aliéner l’entreprise, en bloc ou par morceaux). Bien entendu, la réduction de l’entreprise à son capital est presque aussi contestable que celle qui identifierait le mot « tigre » à l’animal en chair et en os, mais dans l’état actuel des choses, ou plutôt du droit, il en est bien ainsi.
De tous les dispositifs ayant pour objet d’informer, motiver, faire agir, l’argent est donc celui qui unifie et simplifie, le plus radicalement ces trois fonctions. L’information d’abord (le sens) par la substitution du chiffre à la lettre ; puis la motivation : si le prix révèle ce que cela (n’importe quoi) vaut, sans se préoccuper de ce qui en fait la valeur pour moi, il mesure du même coup la motivation qui m’anime à l’égard de ce que j’achète ; l’action enfin : ici réduite à l’actualisation d’une préférence par un échange. Cette conception marchande de l’action a du reste été rigoureusement théorisée par l’économiste autrichien Ludwig von Mises dans un ouvrage précisément intitulé : L’Action humaine (objet d’un encadré).
Mais si les deux premières fonctions du médium monétaire (mesurer, payer) permettent l’échange, la troisième (réserve de valeur) inscrit celui-ci dans la durée : accumuler en vue d’échanges futurs [1]. Avec le développement de la finance, l’argent parachève ses conquêtes dans la dimension du temps : l’argent m’ayant informé de ce que cela vaut maintenant, la finance évalue pour moi ce que cela vaudra demain et motive ainsi une prise de risque qui se réalise dans une action… spéculative.