Le réalisme est une métaphysique qui considère que le monde et les êtres qui le peuplent sont réels. Le réalisme dit philosophique fait un pas de plus en considérant que les êtres que nous sommes (les humains) ont une connaissance valide (lacunaire mais valide) du monde. S’il est naturaliste, le métaphysicien réaliste considère en effet que la connaissance est tout aussi naturelle que les objets qu’elle connaît. S’il est théiste il considère que Dieu n’a pas pu tromper les hommes en les affligeant d’une vaine capacité de connaître le monde. Un pas de plus encore et le métaphysicien réaliste affirme que les « universaux » (les essences, les valeurs…) sont tout aussi réelles. S’il est platonicien, il considère que les universaux intelligibles (les « Idées » de Platon) existent indépendamment de leur actualisation dans le monde sensible. S’il est aristotélicien, il remarque que les universaux n’existent que « dans » les êtres réels (ce sont des formes qui informent la matière, mais la forme n’est pas saisissable indépendamment de la matière qu’elle informe).
L’idéalisme est une métaphysique qui se résume assez bien dans le titre du grand livre de Schopenhauer : « le monde comme volonté et comme représentation ». Nous n’avons jamais affaire à la réalité mais seulement à des phénomènes qui sont nos représentations.
Le grand-père de l’idéalisme moderne est incontestablement notre Descartes national, cet esprit que Pascal qualifiait méchamment d’« inutile et incertain » et qui osa mettre en doute jusqu’à la réalité du monde (en oubliant toutefois au passage de douter de la société qui lui avait enseigné le latin pour lui permettre de déclarer cogito ergo sum).
Les métaphysiciens idéalistes divergent sur le statut du réel. Kant lui ménage une espèce de réalité virtuelle, sous la dénomination de « noumène » ou « chose en soi ». L’idéalisme absolu ou subjectif lui dénie toute réalité (on observera au passage que l’idéalisme subjectif succombe immédiatement à l’auto-réfutation).
Mais réel ou pas, le monde des noumènes est de toutes façons inconnaissable (nous n’avons tout simplement pas affaire à cette prétendue réalité).
A partir de là il faut procéder avec d’infinies précautions et nuances. Remarquer par exemple que le réalisme platonicien est aussi bien un idéalisme (les « Idées » sont une réalité supérieure).
Au début du XXe siècle, la phénoménologie de Husserl est apparue comme une réaction à l’idéalisme alors dominant dans les universités européennes. Le phénoménologue prétendait en effet retourner « aux choses mêmes ». Mais très vite, l’école s’est diversifiée, la plupart de ses membres (à commencer par Husserl lui-même) finissant par retourner au bercail idéalistes, mais quelques-uns s’en sont au contraire éloigné, tel Merleau-Ponty (dans sa dernière philosophie très attentive à la réalité corporelle et charnelle), Michel Henry (une phénoménologie immanentiste de l’auto-affection et de la « chair »).
Michel Henry : on peut déplorer qu’il n’ait pas voulu voir que l’auto-affection caractérise le vivant en général, à commencer par les êtres les plus simples : une bactérie est auto-affectée, de manière bien plus « pure » qu’un animal supérieur, projeté dans le monde « extérieur » par ses sens, son système nerveux et son cerveau.
Le plus grand penseur français du siècle (selon nous), le savant, génial et modeste Raymond Ruyer, évidemment rayé de la liste des philosophes qui comptent dès avant sa mort (survenue en 1987) se considérait comme un « idéaliste objectif » (à tendances platoniciennes) alors qu’il est de toute évidence la grande figure du retour au réalisme (tendance naturaliste). Roger Chambon lui rend un hommage mérité dans un ouvrage fondamental sur ce retour au réalisme naturaliste intitulé Le Monde comme perception et comme réalité (1974). Le lecteur attentif aura remarqué que ce titre prend en quelque sorte le contre-pied de celui de Schopenhauer (le monde comme volonté et comme représentation).
Chambon a bien vu en particulier l’importance d’une conjugaison de la pensée de Ruyer avec celle de Michel Henry : un être vivant, à la différence d’une chose, est un être auto-subsistant, un « domaine absolu » qui se survole lui-même et s’affecte lui-même sans distance.
Intéressant paradoxe : le monde habité par les hommes n’a jamais autant ressemblé à la description fantasmagorique qu’en donne la philosophie idéaliste (Internet ou l’univers de la finance sont bel et bien des mondes comme volonté et comme représentation) alors même que la philosophie idéaliste semble à bout de souffle et d’inspiration.