Au début du XXe siècle, en effet, la science vivante fait d’étranges découvertes qui sont autant de failles dans la chape étendue par la science établie. La physique quantique insinue le doute dans les certitudes et l’ironie dans le discours savant : car le signe le plus net d’une révolution scientifique n’est pas tant un changement de paradigme qu’un changement de ton, du didactisme positiviste à la désinvolture ondulatoire.
Or l’ironie plaît aux dieux, non aux Titans : comme l’art ou la pensée elle requiert distance, et dépérit dans un monde plat. Ironie de l’histoire (des sciences) : les physiciens positivistes qui on tant combattu le finalisme au siècle dernier, en sont réduits à défendre un… finalisme déterministe ; Jacques Monod rejette la finalité pour lui substituer la téléonomie, terme d’origine grecque signifiant à peu près la même chose, comme d’autres écartent l’odieuse morale pour exalter la bonne éthique.
Pourtant, la nouvelle physique ne renie rien, elle change d’objet : ce n’est pas tant le « déterminisme » qu’on rejette, c’est une science des foules, des agrégats, qui passe une frontière et découvre que l’univers n’est pas un amas. Les physiciens du XXe siècle se sont trouvés dans la situation d’un sociologue qui ayant établi la loi d’écoulement des foules dans les voies urbaines buterait tout à coup sur un groupe de badauds racolés par un prédicateur.
S’écartant des amas qui veulent bien obéir aux « lois de la nature », la science
s’aventure sur le terrain même de l’art : patience dans l’azur, théorie des catastrophes, fractales, structures dissipatives, chaos et attracteurs étranges, autant d’intrusions scientifiques dans l’univers des formes. Au risque pour certains savants de renouer avec le sacré, d’où la science positive et l’art réaliste s’étaient promis de nous expatrier…
Des concepts qui sonnent comme des provocations surréalistes : mécanique ondulatoire, logique floue, machine stochastique…